Césaire, jeune moine à Lérins, se livre à un tel excès d’ascèse que son abbé l’oblige à se rendre à Arles, renommé pour ses médecins, afin d’y rétablir sa santé. Accueilli dans un cercle aristocratique et cultivé, il accepte de suivre les leçons d’un rhéteur connu, Pomère. Un soir, fatigué, il s’endort sur son livre de rhétorique. Soudain, un songe terrifiant le réveille :
« il voit l’épaule sur laquelle il était couché et le bras, posé sur le texte, pris dans les nœuds d’un dragondévorant » (V I, 9, p.61.)
Méditant sur le sens de ce rêve, il décide d’abandonner la rhétorique et ses ornements.
Devenu évêque quelques années plus tard, un incident le confirme dans sa décision. Au cours de la messe, alors qu’il va commencer son sermon, l’église se vide, les fidèles quittent l’église, persuadés que ce qui suit n’est pas fait pour eux, mais seulement pour un petit groupe de privilégiés.
Ce sermon, comme ceux de ses prédécesseurs, sera sûrement long, pensent-ils, une heure ou plus, et ce sera une grande dissertation littéraire et théologique sans rapport avec leur vie et dans une langue de plus en plus éloignée de la leur.
Horrifié, Césaire se précipite pour les retenir, sans doute avec un succès mitigé, car il n’hésitera pas à fermer les portes, à l’occasion, jusqu’à ce que les fidèles acceptent de bon cœur de rester, ce qu’ils feront d’ailleurs assez vite, semble-t-il.
Mais la leçon a porté : il faut changer la façon de prêcher et l’évêque est décidé à entreprendre dans ce domaine une véritable révolution. Le premier ennemi de la prédication, c’est l’ennui ; il faut raccourcir les sermons et passer d’une heure à quinze minutes maximum :
«iln’est pas nécessaire que nous vous fatiguions davantage par un trop long sermon Ce qui suit vous l’entendrez plus à propos et sans aucune fatigue,soit demain, soit dimanche au plus tard » (S. 36, 8, p.225).
Quand il s’agit des Vigiles, un office du matin, Césaire mentionne qu’elles ne durent qu’à peine l’espace d’une demi-heure ; et encore, ajoute-t-il :
« pour ne pas mettre les pauvres et tous les ouvriers en retard dans leur travail, chaque fois qu’un sermon est prévu, nous faisons dire plus tôt, le psaume cinquante, afin qu’on ne sorte pas plus tard de l’église, mais toujours à l’heure accoutumée. » (S.76, 3, p. 221-223).
Il est d’ailleurs du devoir de l’évêque de tenir compte des obligations de chacun et surtout des pauvres qui n’ont que leur travail pour vivre. Pour toutes ces raisons, il faut que le sermon soit bref ; il faut aussi qu’il soit simple, compréhensible pour tous. Or, il est deux sortes de prélats: ceux qui, emportés par la musique de leurs paroles, prêchent trop longtemps sans se préoccuper de leur public et ceux qui ne prêchent pas du tout, s’excusant sur leur incapacité, manque de mémoire ou d’éloquence.
Césaire, dans une grande lettre adressée à ses pairs et que l’éditeur moderne des sermons, Dom Germain Morin, a mis à juste titre en tête des Sermons au peuple, réfute énergiquement cette dernière excuse.
«En effet, cette incapacité nuit si peu aux prêtresquemême si quelqu’un possédait une éloquence profane, il ne conviendrait pas qu’un évêque prêchât dans un langage tel qu’à peine quelques-uns soient capables de le comprendre » (S.1, 12 , p. 243).
Il dresse un catalogue des fautes les plus courantes dont un chrétien doit s’abstenir et déclare :
« Ni éloquence, ni grande mémoire ne sont requises là où on sait que convient une simple monition dans un langage sans apprêt » (S.1,13, p.251).
D’ailleurs, rappelle-t-il :
« Notre Seigneur a choisi de préférence aux savants et aux rhéteurs, des pêcheurs illettrés, pour prêcher la parole du Seigneur » (S. 1,20, p. 273).
La conclusion lui paraît évidente :
« Aussi, messeigneurs les évêques doivent-ils prêcher aux fidèles dans un langage plus simple et sans apprêt que tout le monde puisse saisir, accomplissant ce que dit l’Apôtre : je me suis fait tout à tous, pour les gagner tous.» (S. 1,20, p.273).
Césaire est déterminé : il fera, tous les dimanches, et même chaque jour quand cela est possible des sermons brefs, sans fioritures et qui vont droit à l’essentiel. Certains seront consacrés à l’exposition des grandes vérités de foi, tels par exemple, les sermons 3, 6, 9, 12, mais la plupart des Admonitiones, s’appuyant généralement sur une citation scripturaire, sont des leçons de morale pratique.
Ce ne seront pas des dissertations philosophiques, ni des traités de théologie, mais, disons, des entretiens expliquant les fondements de la foi et quelles sont les obligations d’un chrétien.
L’essentiel pour lui est d’établir un contact direct avec ses fidèles, de leur montrer les graves dangers que leur fait courir, pour l’un l’envie, pour l’autre l’ivresse, pour un autre encore l’adultère, alors qu’ils sont appelés par le Christ à une béatitude éternelle.
Ses exemples sont presque toujours tirés de leur vie quotidienne, leur rappelant, par exemple, qu’il ne suffit pas de ne pas faire de mal, si l’on ne fait aucun bien, il demande à l’un d’eux :
«-s’il voudrait que la jeune vigne qu’il a plantée dans son champ soit, dix ans plus tard telle qu’au jour où elle fut plantée. Nous voudrions voir s’il lui plairait que l’oliveraie, qu’il a greffée, fût après plusieurs années fût après plusieurs années telle qu’au jour
(S. 15, 3, p.447)
Ceci n’est qu’un exemple parmi cent autres de sa façon de faire, d’impliquer son auditoire, de l’obliger à se sentir concerné. Son souci de la prédication était tel que, d’après un de ses serviteurs, il prêchait jusque dans son sommeil. Mais Césaire voit combien les fidèles manquent de prédicateurs ; combien d’évêques manquent à leur devoir. Alors il décide de faire des recueils de ses sermons, de les donner à tous les évêques qui viennent le voir, d’insister même s’ils ne les prennent pas de bonne grâce et de leur demander de les répandre à leur tour.
« Et puisque nous avons dû faire plusieurs recueils de ces simples monitions, s’ils ne vous déplaisent pas, vous pouvez et devez les recopier, selon vos moyens, en une meilleure écriture et sur des parchemins, et les donner à recopier dans d’autres paroisses (S. 2, p.283).
Aujourd’hui, un certain nombre de critiques on été faites sur la langue de ces sermons. Il est évident que le latin de Césaire n’est plus celui de Cicéron et que six siècles ont passé en laissant de nombreuses traces: quelques confusions de genre, surtout entre le masculin et le neutre ad inferna (7,2), as infernos (3,1), quelques inexactitudes de déclinaison diacones(2,1) ,diaconi (I,12),ou dans le même sermonfructus et fructos ( 28,2).Le comparatif remplace souvent le superlatif : ipse frequentius legat (2,1) etc.
Quant à sa syntaxe, P.Lejay l’a dit :
« Nous ne trouvons rien dans la syntaxe de Césaire que nous ne puissions relever chez ses devanciers »(P.Lejay, Sermons, P 597)
.Il est même, à bien des égards, étonnamment conservateur dans ce domaine. Pensons à l’évolution du français d’un sermon de Calvin, par exemple, à celui d’un prédicateur d’aujourd’hui.
Le style de Césaire est simple, se veut simple, nous l’avons déjà dit, mais qui dit simple ne signifie pas pour autant vulgaire ni relâché. Ses sermons sont des moyens de communication, lui permettant d’entrer directement en relation avec ses fidèles.
Pour les conduire selon ses vœux à la vie éternelle, il les prend tels qu’ils sont et dans la vie qui leur est impartie ; il leur parle sans concession, sans embellissements, mais dans un style dont la tenue montre son respect pour eux, lettrés ou illettrés. Césaire a réussi à maintenir ses sermons dans cet entre-deux d’entretiens concrets, plus affectifs qu’intellectuels, sans jamais y perdre de sa dignité.